L'atelier de la Lune. Hélène Sellier Duplessis

(Un très beau texte d'Aude Berger, auteur, écrivain, artiste et femme sensible...merci ! Instagram: oo.berger)


Femme et Merle, grès

C'est cachées aux fureurs du monde - comme il est souvent dit de ces univers - que l'on

découvre avec étonnement mais aussi un grand apaisement les créations de Hélène Sellier

Duplessis qui sculpte depuis plus de trente ans.

Pour ma part c'est dans une église tout près du château de Langeais qu'à pas feutrés je

découvrais centaures, êtres énigmatiques de céramique revêtus, créatures oniriques,

démiurges impassibles ... L'église St Laurent s'était parée de lichens, de feuilles et de mousse

pour accompagner cette danse ludique. Tantôt surélevés sur une large estrade, tantôt sur des

podiums, toujours d'écorce et lierre enchevêtrés, on faisait corps avec l'essence de ces esprits

incarnés dans la matière pour refondre l'univers et en offrir un tout autre aspect, ici place au

recueillement et aux délicats murmures entre ce monde peuplé de mystères et les visiteurs

attendris; la nef parsemée d'éclats de bois et de branches recueillait les confessions du petit

peuple étrange pour certains, familiers pour les amoureux de " l'autre côté ". Il faisait frais dans

cette église, là où - comme me le disait Hélène - les hiboux avaient élu demeure.

Le temps se suspend : une source, une forêt, un sentier de vert paré embaumant les sous bois,

des petites tours agrémentant les personnages se font l'écho du patrimoine et des paysages

Tourangeaux, de l'univers de Marc Peltzer qui peint un Paris médiéval, avec ses poutres, ses

escaliers d'époque, sa palette de bleus, ce monde propice à la rêverie et contemplation est

restitué dans la terre et le grès, la porcelaine, la Rouchouze le matériau plébiscité en Touraine

d'où jaillira un bestiaire envoûtant : dryades éthérées aux visages blancs comme nacre, aux

délicates mains déliées frôlant tel un phalène le flanc et les épaules.

Chuchotements des protagonistes de ce prodigieux univers que j'affectionne particulièrement

né dans une si riche région; leurs secrets semblent impénétrables, délicats, confiés sur une

branche, à l'abri des regards tels les esprits de la forêt " les Kodamas " tirés des films

d'animation des célèbres studio Ghibli au Japon; entrebâillez la porte ( sculptée à même leurs

corps ) ils vous ouvrent leurs cœurs à l'instar de ces êtres alanguis sur un banc, une sculpture

attendrissante d'Hélène mettant en scène un couple candide tendrement enlacé.

La douceur, la clarté des émaux aiguisent nos rétines, suscitent l'étonnement. Tout est pensé et

équilibré de façon à ne rien brusquer même si les centaures - pour ne citer qu'eux - , sont

l'incarnation de la force tellurique; on entend le chant des merles, le croassement des corbeaux

peu mélodieux mais contrebalancé par la douceur des êtres hybrides qui les bercent ( ici rien ni

personne n'est exclu ) dotés de cornes, drapés d'une parure médiévale et protégés sous des

petites cloches surmontées de tours, juste en face du château ...

Là, dans l'atelier d' Hélène, tout semble permis dès que l'on franchit la porte de ce monde

fantasque où l'on revisite un temps non encore révolu ... un sortilège intriguant car l'artiste fait

revivre et renaître des émotions qui appartiennent - on aurait tendance à le croire - au passé...

cependant que les arbres centenaires déploient leur superbe non loin des faluns, des sentiers

de la Rouchouze, des bords de Loire, des combles des édifices immortels, ces châteaux et ces

ruines attirent des visiteurs du monde entier, depuis la maison de Balzac jusqu'à la demeure

estivale de Camille Claudel et de Rodin, la pierre et la terre entrelacées, les éléments, le chant

des oiseaux, les roucoulements des pigeons, font le décor du temple magique ... C 'est tout cela

à la fois qu' Hélène recompose comme le tableau d'une vie et région où les sites troglodytes et

les carrières inspirent tant d'artistes de génération en génération, son père sculpteur aussi a

transmis sa passion à sa fille... oui le temps se suspend, les saisons, les siècles pérennes

s'entrecroisent, se superposent : un personnage glané sur une brocante, la jambe brisée, est

transfiguré en partie en dryade : une branche dotée de feuilles et sculptée dans la terre succède


à la jambe manquante, seconde naissance, genèses et incarnations des êtres se mélangent en

évoquant de nouveau toute l'histoire et le patrimoine de Touraine. L'atelier situé juste en face du

château fut la demeure de l'architecte, la maison des 3 Rois, vers l'an 1430, atelier qu'elle a

baptisé " atelier de la Lune " si serein et empli d'objets divers, de bois et de squelettes de

rongeurs, curiosités esthétiques, clefs rouillées patinées dans leurs jus, là trône le maître des

lieux : le four où par couches successives on enfourne les sculptures avant de les peindre, les

vernir, les colorer, les émailler, autour d'un thé ... les ateliers de création sont un pur moment de

partage dans la détente et la confession puisque Hélène pratique l'art thérapie. Lieu doté d'une

âme, salvatrice à bien des égards, d'une mémoire qui entre en résonance avec ses esprits

élancés, omniprésents, toisant l'invisible, loin des tourments, sous une horloge ou les créneaux

des citadelles, ses êtres minuscules en côtoient d'immenses, graciles, imposants ou à la force

tranquille, vivaces, aux couleurs des ocres, des fougères et des feuilles; accrochées aux pierres

des édifices, les ronces lézardent, scandant les saisons, recueillant les palabres telle la Vierge

surplombant la porte fortifiée du village de Rillé, seule trace importante de la fortification

médiévale, l'univers d' Hélène Duplessis redonne vie à des vestiges, des sujets, des santons se

fondant à la personnification de la nature et vice - versa, telle une valse, la course effrénée du

temps ralentie, éternelle, et les ronces, le lichen, les feuilles ceignant les corps et les fronts des

personnages nés de son imagination ou extirpés du passé resurgissent sous ses mains de

sculpteur.

On évoque volontiers un conte de Jean Cocteau, un récit de Jean Jacques Rousseau, entre

fantastique et évidence tangible et fondamentale : la nature comme réalité concrète de notre

environnement. Ces sculptures ne sont jamais éloignés d'une relique, de la photo d'ancêtres

capturés dans le grès, Hélène les fait revivre non loin du bruissement d'un cours d'eau, du

frémissement du vent dans les trembles, je songe au long métrage D'Agneska Holland " Le

jardin secret ", on glisse dans la serrure la clef porteuse de rêves et de découvertes pour

s'enfoncer dans un ailleurs, sa revivance par le truchement de la matière, de son imagination

débridée, connectée aux sensations, aux racines du monde, aux souvenirs et on pénètre dans

le royaume, tout à la fois berceuse et cantique, tenace comme le lierre qui n'admet pas l'oubli et

se fixe dans nos mémoires enrayant l'éphémère.

Jamais je n'oublierai cette incroyable découverte et ces bleus purs qui me font penser aux îles

grecques, aux émaux portugais, ces vert bouteille et blancs qui s'épousent parfaitement comme

les toiles de Serguei Smirnov, les bleus de Marc Peltzer, les personnages aux traits si

particuliers et fluides de Modigliani.

"J'enfonce mes doigts dans la terre pour la pétrir et lui donner une forme, la forme de mes

émotions, entre ciel et terre, les profondes racines séculaires, l'envol du papillon frôlant le

firmament sont les témoins de nos fugaces vies revisitées dans la matière et pour toujours. Au

dos des émaux, broches et colliers, on lit, en toutes lettres, l'inscription " AMOUR ".

Annexe poème

Le lierre de Paul Emile VERHAEREN

Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent

Les feuillages lassés de soleil irritant,

Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend

Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille

Au cœur de la forêt comme en un terrain clos,

Laissant le froid givrer ses ondoyants îlots


Disséminés au loin sur une mer de feuilles.

Pour le passant distrait il boude et il décline

Le régulier effort des œuvres et des jours ;

Pourtant seul sous la terre il allonge toujours

Le tortueux réseau de ses courbes racines.

Sa force est ténébreuse et ne se montre pas :

Elle est faite de volonté tenace et sourde

Qui troue en s'y cachant tantôt l'argile lourde,

Tantôt le sable dur, tantôt le limon gras.

D'après le sol changeant il ruse ou bien s'exalte,

Il se prouve rapide ou lent, brusque ou sournois ;

Son chemin tour à tour est sinueux ou droit ;

Il connaît le détour, mais ignore la halte.

Et, dès le printemps clair, si quelque tronc ardent

Etage auprès de lui ses branches graduées,

Vite il l'assaille et mord son écorce imbriquée

Avec l'acharnement d'un million de dents.

Humble et caché jadis sous la terre âpre et nue,

Son travail aujourd'hui se fait dominateur,

Il s'adjuge l'élan et bientôt la hauteur

De l'arbre qu'il étreint pour monter jusqu'aux nues.

Il frémit de lumière et s'exalte de vent,

Sa force est devenue ardente et fraternelle,

Son feuillage léger comme un vêtement d'ailes

Le soulève, le porte et le pousse en avant.

Chaque rameau conquis lui est support et proie ;

Pourtant, ayant appris sous terre à se dompter

Au point de ne lâcher jamais sa volonté,

Il est si sûr de lui qu'il domine sa joie.

Toujours il tord à point sa multiple vigueur,

Fibres après fibres, au creux des moindres fentes,

Et n'écoute qu'au soir tombant les brises lentes

Chanter en lui et l'émouvoir de leurs rumeurs.

Et quand toute son oeuvre un jour sera parfaite

Et qu'il ne sera plus qu'un végétal brasier

Serrant en son feuillage un arbre tout entier,

Immensément, depuis les pieds jusqu'à la tête,

Il voudra plus encore et ses plus fins réseaux

N'ayant plus de soutiens s'élanceront quand même,

Dieu sait dans quel élan de conquête suprême,

Vers le vide et l'espace et la clarté d'en haut.

Déjà l'automne aura mêlé l'or et la lie

Au funéraire arroi qui précède l'hiver

Que lui, lierre touffu, compact et encore vert,

Jusqu'au vol des oiseaux dardera sa folie.

Alors, plus libre et clair que ne l'est la forêt,

Il oubliera gaiement qu'il lui est tributaire,


Mais qu'il boive un instant la plus haute lumière,

Qu'importe qu'il s'affaisse et qu'il retombe après !

Commentaires

Articles les plus consultés